[En rappel] La persistance de l'obvie mélodramatique

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Un texte qui a cinq ans déjà, mais qui s'applique toujours...


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Depuis les dernières élections, les médias parlent abondamment de démantèlement de l’État social-démocrate, de tarification, d’hydrocarbures, de néo-libéralisme et, bien sûr, de ce mot à la mode en Occident : l’austérité. Bref, très peu de l’éducation. Si pour certains il s’agit d’une technologie du «self», une enkrateia (groupe a), pour d’autres c’est un processus, une diététique de l’orthos logos (groupe b). Ceci dit, on comprend déjà mieux le caractère anastrophique des discussions entre les enseignants, les institutions, le gouvernement et la population. Il ne faut pas se méprendre quant à la nature de la situation, qui ne relève pas simplement du malentendu ou du débat sémantique. Plusieurs commentateurs se sont enfermés dans une vision médiévalisante de l’université qui évacue complètement l’État et les impératifs de la tékhnē. Ces défenseurs de la liberté académique pourront bien savourer la boisson de leur choix à la terrasse la plus proche, il n’en demeure pas moins que leur idéal n’a jamais été entièrement vrai, mais je laisse aux historiens le soin des détails. Les autres? Ils sont de toute évidence déconnectés de leur propre logique marchande.

Bref, on distingue une claire polarisation de cet enjeu entre les deux groupes (notons que la composition de chacun des pôles n’est pas nécessairement uniforme). Ce qui échappe généralement aux commentateurs, c’est le rapport à l’autre dans cette opposition. Dans la plupart des cas, on s’arrête aux propos injurieux. Les étudiants diront, par exemple : « Ces réactionaires nous perçoivent comme des enfants gâtés. » Bien sûr, les injuriés s’en défendront, tout cela au détriment de l’enjeu principal qu’était au départ l’éducation. Un peu à la manière de Marty McFly dans le film Back To the Future II, où le héros est détourné de sa quête principale à chaque fois qu’il se fait traiter de chicken. Il est clair que cette relation obéit à un certain récit minimal. S’il est évident qu’on trouve plusieurs éléments de la Morphologie du conte de Vladimir Propp dans la dynamique des « débats sociaux », l’agresseur demeure difficile à identifier. Selon Propp, le méchant est celui qui provoque le manque ou l’éloignement, soit l’objet de la quête du héros. Ici, le malentendu repose non seulement sur le fait que les deux groupes se blâment, se traitent d’agresseur, mais qu’ils s’attribuent tous deux le rôle de héros. Cette organisation des rôles sociaux s’opère selon une dynamique d’opresseur/oppressé. Pourtant, à la lumière des actes posés par les deux groupes, il est clair qu’ils adoptent tous deux des comportements oppressifs (moyens de pression/réformes). Le récit de la lutte ne considère jamais possible qu’il y ait deux agresseurs dont les rapports semblent aussi dysfonctionels et complémentaires que ceux du Joker et de Batman dans le film The Dark Knight de Christopher Nolan.

Si l’on ne nie pas qu’il y ait une lutte, on est droit de se demander une lutte de/pour quoi? Le groupe a comme le groupe b semblent vouloir s’approprier un objet qui appartient en fait à un troisième groupe dont il font tous deux partie : la société. Ce dernier groupe délègue son pouvoir aux deux premiers, les confortants chacun dans leur légitimité d’agir l’un contre l’autre. On pourrait ainsi dire que les groupes a et b se comportent à la fois comme l’enfant et comme l’animal dans le conte Pierre et le loup. À la différence qu’ils sont des entités bipolaires, des Pierre/loup, à la fois la menace et celui qui la dénonce, un jeu futile qui, non seulement engendre un statu quo, mais suscite l’indifférence des villageois. Dans la logique d’un conte, le héros ne peut se contenter de cette position; il doit avancer. Il opérera donc un déplacement de l’enjeu. Il devra mettre le groupe qu’il représente devant le fait accompli pour ainsi obtenir les moyens dont il a besoin pour compléter sa quête. Mais, bien sûr, cela va dans les deux sens, un peu comme une partie de capture the flag. À peine le drapeau a-t-il été rapatrié qu’il faut recommencer.

Oui, mais l’éducation? Hélas, elle s’inscrit directement dans cette dynamique, notamment en ce qui concerne les institutions postsecondaires. Il n’est jamais question de qualité d’enseignement, de rayonnement du savoir ou de valorisation de la recherche, enjeux que la société en général ne maîtrise pas. On va préférer parler d’infrastructures, de primes de départ et de boycott. Bref, le politique est le principal problème de l’éducation. Celle-ci est autant un bien privé qu’un bien collectif, mais cela ne veut pas dire que sa gestion doive relever totalement du domaine public. Les deux visions de l’éducation que je présentais dans mon introduction ne sont contradictoires que dans le paradigme politique, car dans les faits, elles sont complémentaires. C’est sans doute ici en tant que citoyen qu’il est temps d’intervenir et de faire de l’éducation non pas un portefeuille, mais un pouvoir de l’État, au même titre que la justice, afin d’en garantir l’indépendance.



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